La Nouvelle-Zélande
Chapitre III Le gouverneur, sa maison, ses réceptions. — Un premier ministre. —Richard Seddon. — Le cabinet. — Le parlement
Chapitre III Le gouverneur, sa maison, ses réceptions. — Un premier ministre. —Richard Seddon. — Le cabinet. — Le parlement.
A tout seigneur tout honneur. Sa très gracieuse Majesté est actuellement représentée dans ces lointains parages par: « Son Excellence, le très honorable Uchter Jean-Marc, comte de Ranfurly, grand-croix de l’ordre le plus distingué de Saint-Michel et de Saint-Georges, gouverneur et commandant en chef dans et sur la colonie de Sa Majesté, la Nouvelle-Zélande et dépendances d’icelle ».…
Cette formule, plutôt longue, doit, à peine de nullité, figurer à la suite de tous les actes officiels, n’eussent-ils même qu’une seule ligne. Il n’est pas rare de la voir reproduite cinq ou six fois dans la même page de la gazette du Gouvernement.
Le haut fonctionnaire, honoré d’une pareille nomenclature de titres officiels et qui en possède encore autant comme pair d’Angleterre et d’Irlande, appartient, par sa naissance, à la vraie aristocratie, la noblesse terrienne, pas à celle de la banque ou de la bière. C’est un aimable homme, s’acquittant avec conscience de ses hautes fonctions. Il n’existe pas, d’ailleurs, de situation plus facile et plus agréable que le gouvernement d’une colonie anglaise autonome.
Ceci explique le choix à peu près invariable, pour représentants de la mère-patrie, de grands seigneurs qui ne peuvent manquer de réussir, s’ils ont du tact et se montrent suffisamment décoratifs. Avec cela les prérogatives vice-royales n’existant, en droit, que pour les vice-rois d’Irlande et des Indes, mais étendues en fait aux chefs de certaines autres colonies, page 40le métier, on le voit, n’est pas mauvais. Par contre, si ces gouverneurs n’ont point de passé administratif, ils ne peuvent compter non plus sur une carrière. Une fois écoulés les cinq ans pour lesquels ils sont nommés, ils rentrent en Angleterre, reprennent leur siège à la chambre des Lords, et mettent à profit leur expérience personnelle en se spécialisant souvent dans les questions extérieures et coloniales.
Ce n’est pas précisément un joli morceau d’architecture que le Government House de Wellington. D’abord, il est en bois comme la plupart des constructions qui enlaidissent une ville riche, peuplée de 42000 habitants et où les affaires se traitent par centaines de millions. Nous reparlerons, dans un autre chapitre de ces bâtisses qui forment encore plus des deux tiers des édifices actuels, mais, heureusement, cèdent la place peu à peu à des bâtiments en pierre et en brique. Ces derniers n’ont certainement point la prétention de faire concurrence au Parthénon, mais, à défaut d’élégance, ils ont au moins l’aspect cossu.
Pour en revenir au Gouvernement, qu’on se figure deux ou trois maisons en bois, de hauteur différente, raccordées tant bien que mal: le tout surmonté d’un petit beffroi Moyen Age, Walter Scott ou d’Arlincourt. L’intérieur, en revanche, est beaucoup mieux; spacieux et élégants, les appartements ont été décorés à neuf, remeublés, et l’on est réellement frappé de l’heureux contraste avec l’extérieur, quand on y pénètre pour la première fois.
Le train de maison est convenable; la livrée amenée d’Angleterre (on ne trouve pas de domestiques mâles en Nouvelle-Zélande) a bonne tournure: aux bals et réceptions, les buffets sont bien garnis, les équipages, sans grand luxe, sont très corrects; bref le gouverneur, étant donnée la cherté de la vie dans ce pays, ne fait pas d’économies sur son traitement de 180000 francs.
Lord Ranfurly, Gouverneur de la Nouvelle-Zéland — d’après une photographie.
Les gouverneurs de colonies autonomes, nous le disions plus haut, ne sont pas préparés d’habitude, par leurs antécédents, à ces hautes fonctions. Telle est la vérité; mais ils se mettent, en général, rapidement au courant des affaires. C’est le cas pour lord Ranfurly, qui est devenu, en peu de temps, un excellent administrateur, respecté de tous et très populaire.
Il m’est bien agréable de dire ici, en passant, quels bons rapports existent entre le Gouvernement et le consulat de France et quelles cordiales relations personnelles ont toujours régné entre le comte et la comtesse de Ranfurly et nous.
page 44Le gouverneur et sa femme sont très aimés, et c’est justice; toutefois, ici comme partout, il y a une coterie qui les critique à outrance. Ceux - là ne sont pas, d’ailleurs, les derniers à se précipiter aux réceptions du Gouvernement. L’humanité est bien toujours la même, que ce soit en Europe ou aux antipodes.
Un type que Richard Seddon, King Dick, comme on l’appelle familièrement. Depuis 1893, il dirige, à peu près seul, toute la machine gouvernementale de la colonie. Je dis à peu près seul, car les membres du Cabinet qu’il préside sont plutôt de consciencieux collaborateurs que des secrétaires d’Etat dans la véritable acception du mot. Ils expédient toute besogne administrative; mais, prendre une décision importante, cela c’est l’affaire du premier. Aussi les gens au courant ont-ils soin, avant de soumettre officiellement au ministre compétent la question qui les intéresse, de s’enquérir adroitement de ce qu’en pense le président du Conseil.
S’il n’est pas favorable, il n’y a rien de fait, et ce serait bien inutile de songer à persuader le chef du département auquel elle ressortit. On serait porté à croire qu’un pareil mode de procéder entrave considérablement la marche des affaires; en pratique, il n’en est rien, si grandes sont la promptitude de jugement de M. Seddon et sa facilité à s’assimiler les matières les plus spéciales.
Cet homme, ne l’oublions pas, s’est fait lui-même. Loin de rougir de ses origines modestes, il les rappelle volontiers. Avant d’entrer dans la vie politique, il a été mineur et cabaretier, occupations honorables, mais qui, il faut en convenir, ne paraissent pas faites pour préparer aux hautes fonctions administratives: il serait donc injuste de lui dénier une véritable intelligence, servie par une grande puissance de travail. Non seulement il voit tout dans les quatre ministères qu’il dirige personnellement: Finances, Guerre, Douanes et Travail, mais inspirant les décisions de quelque importance, dans les départements de ses collègues, il trouve encore le temps d’assister à toutes les séances page 45du Parlement, dont certaines durent de dix-huit à vingt heures consécutives.
Sa popularité est due surtout aux lois, tout en faveur de la classe ouvrière, dont il est l’initiateur et que les Trade Unions voudraient plus favorables encore.
Il ne pourra désormais compter, pour l’arrêter dans cette voie, sur une minorité influente. M. Seddon en déplorait tout haut l’existence, mais les procédés d’obstruction de ses adversaires lui étaient parfois assez utiles pour enrayer, sans se compro-page 46mettre aux yeux de ses partisans, sur une pente dont, avec sa clairvoyance, il ne peut se dissimuler la raideur.
Le Premier est, du reste, un homme de grand bon sens, et s’il tient à conserver son prestige aux yeux des travailleurs, il ne se laisserait jamais entraîner à des conséquences trop extrêmes, économiquement parlant, ou qui friseraient le ridicule.
A ce propos une petite anecdote.
Il y a quelque temps, M. Seddon recevait une députation de House Maids, Parlour Maids et cuisinières. Ces aimables personnes qui, tout en jouant du piano et faisant de la bicyclette, consentent à louer à très haut prix leurs précieux services, venaient réclamer la protection des pouvoirs publics contre une situation que leur dignité (sic) ne pouvait supporter plus longtemps. Après avoir écouté leurs doléances avec soin, s’être convaincu qu’elles gagnaient en moyenne 16 shellings par semaine, avec un jour de congé hebdomadaire, outre un dimanche de libre sur deux, soit 80 francs à peu près pour vingt iours de travail mensuel; que le thé, le sucre, la nourriture et leur confort en général ne laissaient rien à désirer, le Premier ne put s’empêcher de remarquer qu’un pareil sort n’arrachait pas précisément les larmes des yeux. Il ne voyait donc pas bien quelle amélioration le Gouvernement y pourrait apporter.
« C’est très simple, riposta l’oratrice de la troupe. Tous ces arrangements sont conclus de gré à gré; tels maîtres qui les acceptent aujourd’hui peuvent tenter demain de s’y soustraire. Nous voulons qu’un acte du Parlement les rende obligatoires, et que tout manquement aux dispositions de cette loi soit puni par les tribunaux, comme des infractions au bill sur le travail dans les manufactures. »
M. Seddon, Premier Ministre de la Nouvelle-Zèlande. d’Après une photographie.
Après ce hors-d’œuvre, revenons à M. Seddon: au physique, c’est un solide gaillard qui figurerait avantageusement dans notre Société des Cent kilos et dont l’organe puissant est fait pour les harangues populaires. Ses discours à la Chambre sont bons, ses speechs dans les banquets meilleurs, mais une allocution en plein air voilà son triomphe. C’est un véritable tribun, et nous aurons longtemps dans l’oreille, comme un des spécimens les plus frappants de ce genre d’éloquence, son adresse au public, le jour du départ du premier contingent néo-zélandais pour le Transvaal. On peut lui reprocher parfois une mimique trop expressive, quand il est emporté par la chaleur de l’improvisation.
Mais la voix, bien qu’assez forte pour être entendue de milliers d’auditeurs, est sympathique, l’articulation nette; les images sont à la portée du peuple sans être cependant triviales, et l’émotion communicative. Le jour dont nous parlions tout à l’heure, il a littéralement transporté la foule qui l’écoutait.
Dans la vie privée, c’est le meilleur des hommes. Sous un extérieur un peu rude se cache un excellent cœur. Il est serviable, fidèle dans ses amitiés, et les grandeurs ne lui ont page 50point tourné la tête. Il accueille, avec la même cordialité, un personnage important ou le plus humble de ses administrés. En politique, s’il est osé en paroles, il est prudent dans les actes; il sait ce qu’il veut et se montre tenace dans ses idées. Il est aimé tant pour la simplicité de ses manières que pour ses efforts constants à pousser le pays dans la voie du progrès. Enfin, son attitude ultra-impérialiste dans la guerre du Transvaal et sa politique d’annexions océaniennes lui assurent la plus grande popularité dont un homme public ait jamais joui aux antipodes.
Nous avons dit, en commençant, qu’il n’entrait pas dans le plan de ce livre d’étudier en détail le système électoral et les rouages gouvernementaux de la Nouvelle-Zélande. Mentionnons seulement que les sénateurs, appelés ici conseillers législatifs, sont nommés par le gouverneur et pour une période de sept ans alors qu’autrefois ils étaient à vie. Leur rôle, vis-à-vis des membres de la Chambre des représentants élus pour trois ans au suffrage universel, est le même que celui du Sénat chez nous, sauf qu’ils n’exercent aucun contrôle sur les lois de finances votées uniquement par la Chambre basse. Dans chacune des deux sections du Parlement, il y a des membres indigènes, deux au Sénat, quatre à la Chambre des représentants. Les districts électoraux qui les nomment sont distincts des circonscriptions ordinaires. Ces membres ne prennent que rarement la parole, en dehors des affaires intéressant directement les natifs. Même lorsqu’ils savent très bien l’anglais, ils font toujours leur discours en maori; un interprète assis près d’eux traduit au fur et à mesure. Les indigènes purs n’ont pas, à proprement parler, de rôle politique, cependant un métis représente un important district électoral, européen celui-là, et fait même partie du ministère.
Le cabinet Néo-Zélandais en 1900. — d’après une photographie.1er rang, assis:mm. ch. Mac Kenzie (Agriculture); Hall-Jones (Travaux publics); Seddon (Président du Conseil, Intérieur); Cadman (Chemins de fer). 2e rang, debout: mm. Thomson (Justice); Carroll (Affaires indigènes); Walker (Instruction publique).
Avant de clore ce chapitre, je remplis un devoir en constatant les agréables relations officielles et personnelles que j’ai toujours eues avec le chef du Cabinet néo-zélandais et ses collègues. Il ne m’est jamais arrivé de rien leur demander pour les intérêts dont j’avais la charge sans l’obtenir. Et la faveur accordée l’était toujours avec une bonne grâce qui en doublait le prix.