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Historical Records of New Zealand Vol. II.

[Journal continues in French]

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Le 12, à 11he du matin, nous eûmes connaissance de la Nouvelle-Zélande par la latitude de 35° 37 et par la longitude de 168° 50 ce qui me donnait une différence de 110 lieues plus ouest que cette terre n'est marquée sur la carte de M. Bellin.

Cette partie de Nouvelle-Zélande ne parait pas abordable elle doit être fort peuplée à en juger par la grande quantité de feux que nous avons aperçu; le bord de la mer est rempli de dunes de sables, assez cónsidérables. Les montagnes qui en sont éloignées de 3 ou 4 lieues sont fort élevées.

L'intention de M. de Surville était de doubler la Nouvelle-Zélande au N. mais les vents n'étaient pas favorables pour cela. On fut obligé de courir différentes bordées en cherchant toujours à pouvoir donner dans quelque port les vents contraires durèrent jusqu'au 14, du Nord, ils passèrent à O.N.O. mais avec une telle force que nous craignîmes à différentes reprises de faire naufrage. La mer était excessivement grosse et nous jetait sur cette côte qui ne nous présentait aucun endroit accessible. Par la position où nous nous trouvions, et le gissement des terres, il n'était pas possible de les doubler au N.; nous avions à peu près les mêmes difficultés pour les doubler au Sud. Nous passâmes toute la nuit du 14 au 15 dans la plus cruelle perplexité, obligés de virer de bord fréquemment et de porter de la voile pour moins dériver. Le lendemain, le danger était tout aussi pressant, la mer et les vents étant toujours les mêmes. Nous eûmes cependant une lueur d'espérance en nous aperçevant que les courants nous avaient éloignés de la côte.

Dans l'après-midi, les vents devinrent moins violents en passant au S.O. ils permirent à M. de Surville de tenter une manœuvre hardie, bien réfléchie, et la seule à mettre en usage pour nous écarter de la côte; malgré la force du vent il fit augmenter de voiles, en mettant la grande voile d'étay, elle fut emportée, mais les autres voiles étant neuves, supportèrent tout l'effet des vents; il fallait absolument, ou doubler cette côte, ou s'exposer évidemment à périr. Nous étions alors par 35° 15 de latitude méridionale. On voit sur la carte dans cet endroit une pointe qui s'avance dans le N.N.O. Elle était le plus grand obstacle à vaincre, mais aussi en venant à bout de la doubler, nous pouvions de plus en plus nous éloigner des terres qui sont plus au Nord et dont le gissement nous était à peu près connu. Nous n'avions pas la même espérance de réussir en portant notre route au Sud. Nous parvînmes enfin à doubler cette pointe, et continuant toujours à nous élever dans le Nord, la mer et le vent s'apaisèrent, le temps nous favorisa au-delà de nos espérances.

Le 16 xbre, nous découvrîmes le Cap qu'Abel Tasman a nommé Cap du Nord-Ouest.* Nous vîmes peu de temps après

* Cape Maria van Diemen was the name given by Tasman (see ante, page 28).

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les îles des trois Rois. A midi, la latitude fut observée de 34° 22. J'étais par mon estime à 168° 12 à l'Est du méridien de Paris. Nous fîmes les relèvements suivants non corrigés de la variation. Le Cap N.O. de Tasman formait les terres les plus Sud à notre vue, et nous restait au S.O. ¼ S. 10° au Sud; à 5 lieues de distance environ une pointe nous restait à l'Est ¼ S.E. 3° S. à 6 lieues un autre Cap formant les terres les plus Nord restait à l'Est à 8 ½. Les officiers du vaisseau le nommèrent Cap Surville.* Les îles des Trois-Rois furent relevées à O. ¼ N.O. 3° O. à perte de vue.

La pointe B, qui est sur la carte réduite de la Nouvelle-Zélande, forme un enfoncement avec le Cap N.O. de Tasman, mais qui n'est pas assez considérable pour empécher de voir des terres basses et sablonneuses.

La couleur de la mer nous indiquait que l'on trouverait un mouillage à cette côte. On sonda à la distance d'environ 3 lieues de la pointe B lorsqu'elle nous restait à l'Est du monde, nous trouvâmes 40 brasses fond de sable roux.

Le même jour, nous doublâmes le Cap Surville. A l'Est de ce cap il y a une pointe près de laquelle on voit un brisant qui s'avance en mer.

Le Cap Surville est très accore et assez élevé, il ressemble à une pyramide tronquée; sa base est fort considérable, on jeta par son travers une ligne de fond de 30 brasses sans trouver le fond.

Après avoir passé le Cap Surville, nous trouvâmes une baie très vaste, mais comme il n'y paraissait aucun abri, on porta un peu plus dans le Sud où nous en découvrîmes une autre.

La manière dont Abel Tasman avait été reçu dans ce pays, nous faisait craindre d'y éprouver la même chose. Nous fûmes étrangement surpris de voir arriver un bateau avec 5 ou 6 hommes. Ils donnèrent le peu de poisson et de coquillages qu'ils avaient, en échange, on leur remit un peu de toile de coton, en s'en allant ils nous montrèrent l'endroit de leur demeure.

Peu de temps après, trois autres grandes pirogues s'approchèrent du vaisseau, à la portée du fusil; de là, les sauvages nous montraient de temps en temps leur poisson, voyant qu'ils n'avançaient à rien par cette cérémonie, ils joignirent le vaisseau et passèrent sous la galerie pour traiter; ils donnèrent une quantité prodigieuse de poissons pour quelques petits morceaux de toile dont ils se couvrirent les épaules.

* Cook sighted this cape on the 10th December, 1769, and named it “North Cape” (see ante, page 152, under entry for the 10th), De Surville's name is therefore later than Cook's. During the next few days Cook and De Surville were within a few miles of one another, but neither was aware of the other's presence.

See ante pages 22, 23, 31, and 32.

These natives would have seen the “Endeavour” off shore from 9th to the 14th, and some had actually gone out to her on the 9th and 10th (see ante, pages 151 and 152).

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Le chef de ces pirogues ayant témoigné de l'envie de venir à bord, on lui fit signe de monter. M. de Surville le reçut en l'embrassant. Il avait une pelisse en peau de chien sur lui que l'on voulut examiner; s'imaginant apparemment qu'on en avait envie, il l'offrit sur le champ, mais on ne l'accepta pas. On le fit passer dans la chambre du Conseil ou M. de Surville lui donna une veste et une culotte rouge, il mit la veste, et garda la culotte sous son bras. En reconnaissance, il remit sa pelisse à M. de Surville. Ceux qui l'avaient accompagné, ne le voyant pas au bout d'un certain temps montrèrent de l'inquiétude, on entendit une certaine rumeur, il se fit voir à ses camarades et nous comprîmes par ses gestes qu'il leur disait que sa personne était en sûreté; on lui fit présent d'une chemise dont il se servit dans le même moment. Plusieurs de ses gens montèrent à bord, nous connûmes bien leur caractère, ils s'annoncèrent dès les 1ers instants pour être grands voleurs; ils s'emparaient de tout ce qu'ils trouvaient sous la main; ils sortirent du vaisseau, chacun ayant sur les épaules son morceau de toile. Le chef voulut retirer sa chemise, mais ne se souvenant plus de quelle façon elle lui avait été passée c'était une chose assez risible de voir son embarras et l'empressement de ses gens à la tirer par les manches et de tous les côtés en même temps. Il vint à bout cependant de l'ôter lorsqu'il se fut rappelé qu'on lui avait fait lever les bras.

Le 17, nous vînmes mouiller dans une baie dont l'entrée est au S.E. ¼ S. à 12 lieues de distance du Cap Surville, et par la latitude méridionale de 34° 49 le plan de cette baie est dans la planche 10.

A une lieue de l'entrée de cette baie, nous avons eu le 1er fond par 34 brasses, sable et vase verte, le fond diminua ensuite jusqu'à 25 brasses, corail et coquillage pourri. On jeta l'ancre par ce dernier fond devant une anse de sable qui est au pied d'une petite montagne au sommet de laquelle il y a un village.

Le 18, on alla sonder près de cette petite anse le fond diminua successivement jusqu'à 9 brasses; là, on n'est éloigné de terre que d'environ 140 brasses n'ayant à craindre que les vents depuis l'E.N.E. jusqu'à l'Est. On ne se doutait point après avoir éprouvé les mauvais temps de la partie de l'Ouest que nous en essuierions de pareils dans la partie orientale.

Il est aisé de s'imaginer la joie qu'eût notre malheureux équipage de se trouver chez des peuples qui nous avaient déjà traités avec humanité. Depuis notre départ du Port Praslin, 60 hommes avaient payé leur tribut, et le scorbut attaquait presque tout le reste, quelques jours de plus sans voir la terre,

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le vaisseau Le St. Jean-Baptiste n'eut jamais pu quitter la Nouvelle-Zélande, à moins d'un miracle.

Ce jour-là, 18 xbre, M. de Surville descendit à terre. Le Chef du Village vint le recevoir sur le rivage; tous ses gens étaient épars ça et là et tenaient en main des peaux de chiens et des paquets d'herbes qu'ils levaient et baissaient continuellement, sans doute pour faire honneur à M. de Surville.

Le lendemain on retourna à terre, mais la réception fut bien différente; les habitants du pays étaient attroupés et armés. Le Chef qui était venu au-devant de M. de Surville dans une pirogue, lui fit signe de rester sur le bord du rivage; il paraissait intrigué, ou plutôt ses gens, de voir à terre une grande partie de l'Equipage. Il quitta M. de Surville pour aller leur parler, ce qu'il fit avec beaucoup de chaleur, il revint ensuite lui demander son fusil, dont il connaissait le bruit seulement. Voyant qu'on ne voulait pas le lui donner, il demanda l'épée. M. de Surville la lui prêta, il courut la montrer à ses gens, ce qui les apaisa entièrement.

Il est certain que ce chef avait pris nos intérêts extrêmement à cœur auprès de ses sujets, et qu'il nous marqua toute la confiance possible. Ayant paru avoir envie de revenir à bord, on le lui accorda! Dès qu'il fut un peu au large, on entendit des cris qui marquaient sans doute de la crainte à son sujet, les femmes se mirent à pleurer; pour ne pas les alarmer, on ramena sur le champ le chef à terre.

M. de Surville nomma cette baie Lauriston* et l'anse dont j'ai parlé ci-dessus Chevalier.

Nous nous approchâmes de cette anse quelques jours après, nous y mouillâmes le 22 xbre par 18 brasses, fond de gravier et coquillages pourris; le village, dans cette position nous restait O.N.O. du monde, à ⅓ de lieue de distance.

Nous fûmes dans cette baie jusqu'au dernier jour de l'année 1769. Les gens de notre équipage s'y étaient passablement rétablis, mais pas aussi bien qu'on pouvait le désirer. Nous ne pouvions plus y rester avec quelque sûreté après la perte de nos ancres dans un coup de vent furieux. Cet événement mérite place ici, à cause de la sagacité et fermeté de M. de Surville; c'est dans les dangers que le marin sait choisir et employer avec habileté les ressources que l'art lui fournit pour résister aux efforts réunis des éléments déchaînés.

Les vents qui avaient soufflé au S.O. et du S.S.O. jusqu'au 27 du mois, passèrent à l'E.N.E. ce jour-là, trois de nos bateaux avaient été dans le fond de la baie pour y pêcher

* After M. Law, of Lauriston, one of the owners of the “Saint Jean Baptiste.”

After M. Chevalier, one of the owners of the “Saint Jean Baptiste.”

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et ces vents ne permirent qu'à deux de ces bateaux de regagner le vaisseau. Dans la nuit le vent redoubla tellement que l'on fût obligé de mouiller une 3ème ancre, car nous chassions sur les deux premières. Le vaisseau soutint les efforts du vent jusqu'à 7h ½ du matin du 28 que l'un de nos câbles se rompit. Le vaisseau chassait alors sans discontinuer quoique l'on filât le câble de notre 3ème ancre. Nous tombions visiblement dans la partie du S.O. de l'anse Chevalier, qui est une côte fort escarpée, bordée de récifs qui s'étendent fort au large et sur les quels la mer brisait horriblement. A peine en étionsnous éloignés de 150 toises, lorsque M. de Surville se détermina à appareiller, il donna l'ordre de couper les câbles. Cette opération exigeait fort peu de temps, mais à chaque moment le danger devenait de plus en plus pressant, on ne peut pas voir la mort de plus près. Nous étions peu éloignés des Rochers, de 20 pas, lorsque le vaisseau abattit heureusement sur le côté de Tribord, le seul par où il pouvait nous donner quelque espérance d'échapper au naufrage. Ce fut à l'habileté de M. de Surville que nous dûmes notre salut, et à la présence d'esprit qu'il conserva dans ce terrible moment. Il vit le seul bon parti à prendre et le fit exécuter; sa fermeté rassurait les matelots et les encourageait à un travail pénible pour des gens déjâ épuisés par la maladie. On peut juger du risque évident que nous avons couru dans cette occasion par le sort d'un petit bateau qui était attaché à la poupe du vaisseau et qui fut submergé. Plusieurs personnes ont cru qu'il s'était fracassé sur les rochers, on fit couper la corde pour en débarrasser le vaisseau.

Pour avoir évité un naufrage presque certain dans ce moment, nous n'étions pas pour cela plus assurés de ne pas périr au 1er instant. Nous ne pouvions pas sortir de la baie à cause des vents et nous ne pouvions pas mouiller n'ayant plus d'ancres entalinguèes.

Le petit nombre de Matelots qui restaient à bord était à peine suffisant pour venir à bout d'entalinguer une ancre, et ce ne fut qu'après 4 heures du travail le plus opiniatre de leur part qu'ils y réussirent. Pendant ce temps, le vaisseau était continuellement jeté sur la côté par la force des vagues et des vents. Nous n'avions plus que 6 brasses d'eau lorsque nous pûmes jeter l'ancre dans une petite anse qui, par la circonstance où nous la trouvions, fut appelée anse du refuge. C'était la dernière ancre de poids qui nous restait. Pour tâcher de maintenir le fond de 6 brasses, on fila la moitié du câble de 140 brasses que l'ou avait mis à cette ancre. On voulut aussi mouiller une ancre à iet, mais le câble ne put résister à l'impétuosité des vagues.

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Nous n'osions pas nous flatter de tenir longtemps avec cette seule ancre et nous n'avions d'autre perspective que d'échouer d'un moment à l'autre, à la vérité avec un danger moins manifeste que dans l'anse Chevalier. On dégréa les Mâts de perroquet et ceux de hune pour soulager le vaisseau. Les inquiétudes que nous avions sur notre sort ne diminuaient pas celles que nous causait le bateau que les vents avaient empêché la veille de regagner le vaisseau. Tous nos malades au nombre de 33, étaient dans ce bateau, il était en outre chargé d'eau; elles cessèrent en partie lorsque nous l'eûmes aperçu mouillé dans l'anse du refuge, il ne lui était pas possible de venir nous rejoindre à cause de la grosse mer.

Si nos alarmes se calmaient d'un côté, de l'autre, nous éprouvions des accidents capables de nous en donner de nouvelles. La barre de notre gouvernail se rompit, on en remit une autre qui eut le même sort, un instant après on fut obligé d'en refaire une 3ème avec deux morceaux de bois, cette dernière résista; par ce moyen, nous n'étions pas encore sans ressource dans le cas où le câble eût cassé ou si les vents nous eussent permis d'appareiller pour sortir de l'anse. Les vents restèrent N.E. pendant toute la nuit du 28 au 29 et soufflèrent avec la même violence.

Dans la matinée ils passèrent au N.O., avec ce vent nous pouvions, en cas de besoin, appareiller ce qui diminua un peu nos inquiétudes. Notre bateau profita d'un seul instant où le vent fut moins vif pour venir nous rejoindre; cet intervalle ne fut pas long, il reprit bientôt toute sa force.

Les gens de ce bateau nous raconterent qu'ils avaient échappé au danger de périr par le plus grand des bonheurs; en revenant de l'anse du refuge pour gagner le vaisseau la veille, leur mât fut cassé, ce qui les obligea d'y retourner, non sans beaucoup de dangers. Ils échouèrent une fois, et touchèrent avec les rames plusieurs autres écueils, ils eurent enfin le bonheur de gagner un endroit où ils se trouvèrent à l'abri. Nos pauvres malades passèrent la nuit dans le bateau sans pouvoir se garantir de la pluie qui tomba en abondance. Le lendemain, qui était le 28, ils purent descendre à terre. Très heureusement, pour eux le peu de poisson que l'on avait pêché la veille avait été mis dans leur bateau, ils en prirent une partie, réservant l'autre pour le lendemain, prévoyant bien que le temps ne leur permettrait pas de se rendre au vaisseau. Ce premier bonheur fut suivi d'un autre, le Chef de cette anse les surprit très agréablement en leur portant du poisson sec qu'ils reçurent avec reconnaissance. On lui fit entendre qu'on ne pouvait rien lui donner en échange, il répondit par d'autres signes qu'il ne demandait rien, en montrant sa cabane il semblait marquer le plaisir

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qu'il aurait qu'on l'acceptât. Ce bonhomme, touché du pitoyable état où étaient nos malades, les pressait de venir chez lui et leur donnait à comprendre qu'ils y seraient nourris et à convert du mauvais temps, une grande partie se rendit à ses invitations.

M. Dubucq, chirurgien-major du vaisseau, était dans ce même bateau. Il se remit en route avec 8 hommes armés pour aller dans l'anse Chevalier, se flattant qu'il pourrait trouver dans cet endroit quelque occasion de se rendre à bord et y demander des vivres pour les malades. Nous étions au moment du plus grand danger lorsqu'ils y arrivèrent; avant de nous voir ils se regardaient comme les plus malheureux du vaisseau, mais notre état les fit frémir et concevoir qu'ils étaient les moins à plaindre; ils croyaient à chaque instant que le vaisseau allait être englouti ou brisé sur les rochers; ce fut pour eux un spectacle d'horreur, ils se crurent bien alors pour jamais destinés à finir leurs jours dans la Nouvelle-Zélande.

Le vent ne cessa point d'être violent jusqu'au 31 xbre, mais sans aucun danger pour nous, le câble n'ayant point été endommagé.

Ce même jour nous aperçûmes au fond de la baie le petit bateau qui avait été submergé sur les récifs de L'Anse Chevalier. M. de Surville aussitôt fut pour le chercher et se munit de tout ce qui était nécessaire pour le mettre en état de tenir la Mer; mais en approchant du rivage, on fut bien surpris de ne trouver qu'un morceau de bois, cependant du vaisseau on avait très bien distingué notre petit bateau et il ne nous resta plus de doute que ce ne fùt lui quand on eut trouvé la trace d'un bateau et une corde qui servait au nôtre. On suivit cette trace qui conduisit à une petite rivière, on eut beau la remouter et la descendre, on ne pût jamais rien découvrir.

M. de Surville regarda cet enlèvement comme un vol manifeste qu'il résolut de punir. Il vint dans cette intention près de la rivière marquée 6 dans le plan de la Baie Lauriston, planche 10. Il y trouva quelques sauvages qui étaient auprès de deux pirogues. M. de Surville les appela, un d'eux vint à nous qui fut arrété sur le champ par son ordre; tous les autres s'enfuirent;* on s'empara d'une de leurs pirogues, les autres furent brûlées. On mit égalemant le feu à des maisons de paille abandonnées qui furent consumées en un moment.

Nous revînmes à bord avec cet infortuné Zélandais; on ne peut s'empêcher de faire remarquer la bizarrerie du destin: ce même homme fut reconnu par le Chirurgien-Major pour celui

* Naquinovi. He died when off Juan Fernandez Island (see post, p. 291).

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qui leur avait offert si généreusement sa maison et qui leur avait donné des vivres.

Après une telle hostilité nous ne devions plus nous attendre à tirer des secours des habitants, il fallait done en aller chercher ailleurs. M. de Surville assembla son Etat-Major pour tenir conseil sur le parti qu'il convenait mieux de prendre. Il ne nous parla que vaguement du but de son voyage pour nous décider il était bien indifférent d'en être parfaitement instruits.

Dans un pays aussi sujet aux ouragans que le paraît être la Nouvelle-Zélande, nous ne pouvions pas nous exposer à y demeurer plus longtemps sans courir le risque de perdre la seule ancre de poids suffisant qui nous restait. Nous nous trouvions alors à plus de 1,200 lieues de tout établissement européen au delà du Cap de Bonne Espérance. Mais, pour nous y rendre, il fallait nécessairement passer dans des détroits où l'on est obligé de mouiller souvent, mais plusieurs fois dans un jour! Avec une seule ancre et un équipage réduit à moitié et fatigué, pouvait-on sans une imprudence extrème choisir de retourner sur nos pas?

Le Pérou, quoique distant de 1,800 lieues de la Nouvelle-Zélande, nous offrait une relâche, à la vérité beaucoup plus éloignée, mais avec beaucoup moins d'inconvénients pour nous y rendre. Les vents devaient nous être presque toujours favorables et nous ne prévoyions pas à moins d'accident, de nous trouver obligés de mouiller qu'à notre arrivée dans le port. Dans la situation où nous nous trouvions, c'était le seul parti convenable à choisir, le seul prudent à suivre.

M. de Surville fut charmé que, par cette décision, il pût encore suivre une partie de ses instructions, il se flattait tout au moin de fixer la latitude de l'ile qui faisait le but de son voyage et qu'il y reviendrait plus sûrement après avoir mis son vaisseau en état de reprendre la mer, à quoi il espérait de réussir dans sa relâche au Pérou.

Pour terminer l'article de la Nouvelle-Zélande, il nous reste à parler de ses habitants, de ses productions, &c. &c.

Personne avant nous n'avait mis pied à terre dans ce pays; il fut découvert le 13 7bre, 1642, par Abel Tasman qui éprouva à la côte occidentale le même temps que nous, il la suivit seulement depuis 42° 10 de latitude méridionale jusqu'à 34° 35. Ainsi tout ce que nous avons vu dans la partie orientale a été découvert par le St. Jean Baptiste.*

Les habitants sont de bonne taille, mais leurs jambes sont si grosses qu'elles paraissent enflées, leur couleur est fort

* For Tasman's account see ante, pp. 18 to 34. None of the coast can be claimed for De Surville; he was unaware that Cook had just forestalled him.

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basannée et leurs traits sont assez réguliers. Ils ont les cheveux longs qu'ils attachent sur le sommet de la tête et y mettent des plumes blanches. Ils ont sur le toupet une couleur rouge délayée dans de l'huile. Sur différentes parties du corps ils ont des dessins qu'ils se font avec du charbon, ils l'incrustent dans la chair et le fixent avec quelque caustique, de façon que l'empreinte ne s'éfface jamais. C'est ordinairement aux cuisses où il y a le plus de dessins, ils y forment des spirales.

Les femmes sont, en général, fort laides, elles se peignent comme les hommes différentes parties du corps, à l'exception du visage dont elles ne peignent que la lèvre inférieure.

L'habillement le plus commun consiste en une grande natte faite de plusieurs autres petites qu'ils rapportent ensemble, elle leur descend jusqu'au gras de la jambe, on ne peut mieux la comparer qu'à une chappe; cet ajustement ne peut guère les couvrir entièrement et il parait qu'ils ne s'en mettent point du tout en peine, quelques uns cependant portent des ceintures.

Ou lien de natte, les Chefs se servent d'une pelisse faite avec plusieurs bandes de peau de chien, ils mettent le poil en dehors lorsqu'ils sont en cérémonie, mais pour se garantir du froid ils le mettent en dedans.

Leur manière de vivre en général est assez misérable, la base de leur nourriture est de la racine de fougère qui est très abondante, ils la font chauffer et la battent, elle leur sert de pain. Ils ont aussi beaucoup de poisson; pour le faire cuire, ils creusent un trou dans la terre qu'ils remplissent à moitié de cailloux et ils allument au-dessus un grand feu. Lorsqu'ils jugent que les cailloux ont acquis un degré de chaleur convenable, ils mettent alors leur poisson bien enveloppé dans deux feuilles sur ces cailloux et couvrent ensuite le tout de terre.

Les poissons que nous avons trouvé dans ce pays sont les plies, les maquereaux, les lubinis, les chabots, grondins, rougets, diables de mer, chiens de mer, &c., &c.

Les peuples se retirent comme ceux des Iles Bachy sur des montagnes fort escarpées. Peu de nous osèrent tenter d'y monter parce que le danger était trop grand à vouloir satisfaire un simple désir de curiosité, un faux pas coûterait infailliblement la vie sans doute ils ne choisissent une retraite aussi périlleuse que pour se mettre à l'abri des incursions de leurs ennemis, ils ont, malgré cela des cabanes dans la plaine, mais ils les abandonnèrent pendant notre séjour.

Un des habitants invita quelques uns de nous à monter sur le sommet de la montagne où est leur citadelle; lorsqu'on

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fut arrivé sur l'esplanade, il prit une lance pour montrer de quelle façon ils se défendaient. Il donnait à entendre que si quelques ennemis restaient sur le champ de battaille, ils les coupaient en morceaux et les mangeaient. Celui que nous avons fait prisonnier nous a confirmé plusieurs fois qu'ils étaient anthro-pophages. Ce n'est qu'avec horreur que l'on rapporte la façon dont il nous a montré qu'ils en agissent avec ceux qu'ils peuvent faire prisonniers. Ils les saisissent par les cheveux et les tuent en leur donnant un coup sur la tempe avec une arme de pierre, ils séparent les 4 membres, ouvrent le ventre en croix pour en arracher les intestins, ils font ensuite des portions des membres du corps qu'ils distribuent à tous les assistants.

Nous n'avons vu chez ces barbares d'autres armes que leurs lances et l'assommoir de pierre dont la longueur est d'environ 12 à 14 pouces, ils ont de ces derniers faits avec des os qui, par leur grosseur, ne peuvent être que de baleine.

Ils portent au col, comme un ornement, une espère d'idole faite d'une pierre fort ressemblante au jade. Cette figure semble accroupie sur les talons; les yeux sont faits avec de la nacre qu'ils incrustent dans cette pierre; il est étonnant qu'ils puissent lui donner un aussi beau poli, la tailler et la percer sans faire usage de métaux; ils ont des pendants d'oreille de 3 pouces de longueur environ, de cette même pierre.

Nous pouvons croire avec raison que ces peuples ont un culte; en nous montrant cette idole, ils joignaient les mains et levaient les yeux au ciel.

Nous leur avons vu des instruments de musique, l'un est un coquillage au quel ils adaptent un tuyau cylindrique de 3 ou 4 pouces de long, ils en tirent des sons semblables à ceux de la cornemuse; c'est sans doute le même instrument dont parle Abel Tasman. L'autre a environ un pouce et demi de longueur, il est creux et n'a qu'un seul trou dont ils tirent 5 à 6 sons différents aussi doux que ceux d'un flageolet. Ces peuples ont sans doute beaucoup de goût pour la musique. Nous les avons entendus quelquefois chanter en chœur, ils forment des accords parfaits. Ils paraissent aussi beaucoup aimer la danse. Trois jeunes filles, animées seulement par la voix et le bruit des mains d'une vieille femme, dansèrent devant M. de Surville et autres personnes du vaisseau; elles mirent en usage les gestes les plus indécents pour vaincre l'indifférence des spectateurs Européens. Une de ces filles, après leur danse finie, voyant que M. de Surville reprenait le chemin du vaisseau courut à lui, transportée, et le saisit par le corps, elle n'oublia rien pour le tenter et ce ne fut pas sans peine qu'il vint à bout de s'en débarrasser; elles en ont usé de la même façon avec nos matelots, il est impossible de voir des femmes plus déshonnêtes.

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Leur manière de saluer a quelque chose de bizarre; celui qui reçoit le salut s'assied par terre, et celui qui le fait vient appuyer son nez sur celui qui est assis. Ils restent sans se rien dire environ une demi-minute dans cette posture. M. de Surville en usait de même avec les barbares qui ne faisaient aucune façon de s'asseoir pour recevoir son salut.

Leurs bateaux sont fort longs en général. Le fond est d'une seule pièce; pour en relever les bords ils ajoutent quelque-fois une planche on deux. Sur le devant et le derrière de leurs bateaux, il y a des morceaux de sculpture tels qu'on en voit la representation dans la planche 12.

Ils se servent d'une pierre fort dure couleur d'ardoise pour couper le bois.

Leurs maisons sont comme celles de tous les sauvages, c'est-à-dire petites et sans ornaments; elles n'ont tout au plus que 5 ou 6 pieds de hauteur sur 10 de longueur et 4 ou 5 de large, celles qui ont des battants de porte ou des figures assez baroques sculptées au bas des portes.

Devant leur citadelle ils ont de grands pilliers de bois sur lesquels ils font sécher le poisson pour la provision de l'hiver; il doit être fort rigoureux, quoique le pays ne soit qu'à 200 lieues du Tropique, à en juger par le temps que nous y avons éprouvé dans un mois de la plus belle saison de l'année.

Pendant les 1ers jours de notre arrivée, les sauvages nous apportèrent du poisson, mais ils se lassèrent à la fin de nous en procurer. Nous fûmes obligés de nous en pourvoir nousmêmes, c'était le seul mets dont ces peuples font usage, que nous pouvions employer.

Nous trouvâmes en abondance des anti-scorbutiques excellents: l'ache et deux espèces de cresson. La 1ère est celle des prés, l'autre est la sauvage dont les feuilles sont longues et découpées; il est étonnant que ces herbes aient rétabli notre Equipage en aussi peu de temps. Le cresson faisait surtout un effet prodigieux sur quelques personnes. Aprés en avoir mangé en salade, elles se trouvaient presque sans respiration, une grande rougeur montait à leur visage, et, dans la bouche, elles sentaient un goût de sang; l'accès durait environ une heure, après en avoir eu 2 ou 3; elles n'y ont plus été sujettes.

L'usage de ces plantes rappela à la vie ceux de l'Equipage les plus dangereusement malades, ceux mêmes qui étaient hors d'état de se trainer; un matelot surtout qui était enflé par tout le corps et dont la bouche était pourrie, se fit porter à terré 2 ou 3 fois; en mangeant seulement de ces herbes il se rétablit assez bien pour pouvoir continuer le voyage.

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Nous n'avons vu dans ce pays d'autres quadrupèdes que des chiens; les naturels du pays ne les élevènt que pour les manger, ils ont le poil long et assez doux.

Parmi les oiseaux que nous avons vus, il y en a un de la grosseur et de la couleur du merle, qui, sous le bec, a de petits pendants rouges à peu près comme les poules; il y en a aussi unautre de la même grosseur et couleur qui, au lieu de ces petits pendants, à une petite houppe de plumes blanches.

Les oiseaux aquatiques, tels que les canards sauvages, courlieus, alouettes de mer, bécassines y sont en grande abondance; on en voit un surtout qui est de la même grosseur qu'un canard dont le bec et les pattes sont rouges, le bec est long comme celui d'une bécasse. Nous en avons vu d'autres qui ont le bec d'un jaune pâle, cette différence, peut-être, fait celle des sexes.

Il y avait quelques petits champs semés de patates, mais ce n'était pas encore le temps de la récolte, ces sauvages cultivent aussi des calebasses. Nous avons vu dans la Nouvelle-Zélande des cordes faites avec du très bon chanvre.

Sur le bord de la mer on trouve une résine transparente que les eaux y apportent, elle jette en brûlant une flamme claire et répand une odeur assez suave.*

Nous avons donné aux habitants de ce pays du froment, du riz et des pois ronds, en tâchant de leur faire comprendre de quelle manière ils devaient s'y prendre pour les faire produire, on leur a laissé deux petits cochons de lait mâle et femelle et, enfin, un coq et une poule de Siam, les deux seules volailles qui restaient dans le vaisseau depuis très longtemps.

La partie de la Baie Lauriston qui forme l'entrée à main droite, est montagneuse, elle n'a guère d'autres arbres que de hautes bruyères; cependant à l'Anse du Refuge il y a un paysage assez agréable; les ruisseaux y sont bordés d'une grande quantité d'arbres; on ne trouve que de l'herbe sur le sommet des montagnes.

Le fond de la baie est un pays plat, il y a un étang assez considérable à une demi-lieue environ du rivage.

Les mauvais temps que nous avons essuyés dans cette baie nous ont empêché d'en prendre une parfaite connaissance. La partie orientale, à la simple vue, nous a paru offrir plus d'abri et de ressources que celle où nous étions mouillés.

Ce fut dans la nuit du 31 xbre 1769 que nous appareillâmes de la baie Lauriston pour aller chercher les Côtes du Pérou, que d'inquiétudes ne devions-nous pas avoir à parcourir un espace de 1,800 lieues dans une mer alors inconnue? On ne trouve

* Kauri-gum, mentioned here, had already been noted by Cook, in his Journal of 16th November, p. 157.

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en effet aucun voyageur qui venant de l'Inde, ait tenté de se rendre à l'Amérique par l'hémisphère méridional; tous les vaisseaux jusqu'à présent y sont venus par l'hémisphère septentrional; leur route les mène à prendre connaissance de la Californie. On ne peut pas dire que les vaisseaux qui ont vu la Nouvelle-Guinée après avoir doublè le Cap Horn, aient fait en sens contraire le même chemin que nous devions faire, il est bien vrai qu'ils ont traversé cette mer immense de l'hémisphère méridional, mais ce n'est qu'entre les Tropiques où les vents sont éternellement favorables pour courir dans l'Ouest; notre route, au contraire, devait se faire bien au-delà du Tropique. Nous ignorions si quelque terre australe ne nous empêcherait pas de nous rendre au Pérou*; malgré cet inconvenient, ou, pour mieux dire, cette incertitude, nous n'avions pas à choisir un autre parti, il n'était pas prudent de chercher à repasser la ligne pour nous retrouver dans les climats où notre équipage s'était si fort affaibli, nous eussions été perdus sans ressource, si, prenant cette résolution, les calmes et les orages nous avaient contrariés. Nous n'ignorions point que les traités défendent la relâche du Pérou, à moins de se trouver dans une nécessité urgente de la faire; nous étions malheureusement dans le cas de l'exception.

N'ayant trouvé aucunes choses dignes d'attention dans la Mer du Sud, je me bornerai à ne parler que des vents qui ont régné dans notre traversée et des variations de la boussole qui ont été observées; ces deux articles sont toujours intéressants pour les navigateurs.

Tout le monde sait qu'entre les Tropiques les vents régnent de la partie de l'Est pendant toute l'année; mais au-delà du 30e parallèlle ils ont une direction contraire du N.O. au S.O. Il y a cependant une saison où ils passent quelquefois au S.E. jusqu'au N.E. et c'est ce qui facilite à doubler le Cap Horn en venant de l'Est, de même le Cap de Bonne-Espérance. Nous nous trouvâmes précisément dans la mer du Sud vers cette saison et nous y éprouvâmes ces variétés de vents. Elles nous ont obligé d'entretenir différentes latitudes et nous avons été jusqu'au 43e parallèle lorsque nous avons en les vents d'Ouest. Par cette latitude en général nous eûmes de très gros temps; ils firent prendre à M. de Surville le parti de lier avec des cordages le corps du vaisseau sur le Gaillard pour l'empêcher de jouer, son artillerie l'avait tant fatigué que nous craignîmes pendant longtemps de ne pouvoir continuer le voyage.

Le temps a été assez beau pendant toute la traversée lorsque nous n'avons plus été par de fortes latitudes. Je joins ici une

* It was thought that a great continent stretched across from New Zealand to the south of South America. The clearing-up of this mystery was Cook's great work.

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carte de notre route dans cette mer, où j'ai marqué les variations de la boussole qui ont été observées à la Nouvelle-Zélande. Elle était de 12° N.E. elle a diminué successivement jusqu'à 2°. Nous nous estimions alors à 122° à l'occident du méridien de Paris; elle a depuis augmenté insensiblement jusqu'à la vue des iles de Juan Fernandès qui sont environ par 94°, aussi à l'ouest de Paris; on l'observera dans cet endroit de 11° N.E.

Selon les instructions de M. de Surville, l'île qu'il devait chercher est située environ à 102° à l'occident du méridien de Paris. M. de Surville se trouvant à 109° de longitude, ce qui fait 7° au vent de l'île, chercha à se mettre par la latitude de 27° à 28° pour ne pas manquer l'île qui lui était indiquée, mais les vents d'Est qu'il rencontra sur ces parallèles ne lui permirent pas de persister à s'assurer de la véritable position de cette île.

Le scorbut commençait de nouveau ses ravages, l'eau nous manquait, car depuis plusieurs jours nous étions réduits à une chopine par homme. Dans cette circonstance, M. de Surville assembla le Conseil, le résultat fut, d'une commune voix, de gagner le plus tôt possible un port à la Côte du Pérou; il fallut retourner dans le Sud pour trouver les vents d'Ouest, nous étions au 6 mars 1770.

Nous avons cru cependant passer dans le voisinage de quelque terre, et nos soupçons se fondèrent sur la quantité d'oiseaux que nous vîmes ainsi que des polypes, nous eûmes de plus des orages accompagnés d'éclairs et de tonnerre, il est plus ordinaire d'en avoir à l'approche des terres qu'en pleine mer.

Le 12 mars, nous eûmes connaissance d'un vaisseau par la longitude estimée de 107° et par la latitude de 34°. Nous ne pûmes nous assurer de quelle nation il était, on est porté à croire qu'il était espagnol, du moins nous le jugeâmes ainsi en nous trouvant une différence de 180° lieues Est à la vue des îles de Juan Fernandès, ce qui nous rapprochait de la côte. Ce vaisseau pouvait se rendre au Chili et, peut-être, avait été obligé de pousser plus au large qu'on ne le fait ordinairement.

Nous découvrimes les îles de Juan Fernandès le 24 mars. C'est à la vue de ces iles que mourut le nommé Naquinovi que nous avions pris dans la Nouvelle-Zélande; le chagrin contribua beaucoup, sans doute, à sa mort, mais la disette d'eau que nous éprouvions depuis longtemps en fut la principale cause. On mit la route tout de suite au nord et le 5 avril suivant nous eûmes connaissance de la Côte du Pérou à l'endroit où sont les altes hiatiques qui sont des montagnes fort élevées. Le 6 nous doublâmes l'ile Sangallan.

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Le 7, au matin, nous crûmes voir des vaisseaux mouillés dans une baie, ce qui nous fit soupconner que ce pouvait être le Callao, et que pendant la nuit les courants nous avaient portés dans le Nord. On arriva sur les vaisseaux, et bientôt après, on reconnut la méprise. M. de Surville fit reporter au large, mais nous ne pûmes jamais doubler une pointe qui nous restait au nord, les vents d'ouest que nous avions étant trop faibles. Le calme survint et les courants nous entrainaient à la Côte, nous n'en étions pas à ¾ de lieues lorsque heureusement on trouva un bon fond où nous mouillâmes.

Nous passâmes la nuit dans cet endroit à avoir un temps favorable.

Le lendemain on fit des signaux de détresse, on tira du canon; mais personne ne vint à notre vaisseau. M. de Surville se détermina alors à écrire au Vice-Roi du Pérou, pour lui exposer la triste situation où nous nous trouvions, et le solliciter de nous accorder tous les secours dont nous avions besoin. Il donnait dans sa lettre un détail des différentes routes que nous avions tenues, et lui envoyait une copie de ses passeports et les procèsverbaux justificatifs de la relâche forcée de son vaisseau à cette côte. Il chargea M. Labé, son second, d'aller à terre porter ce paquet; ce dernier trouva la mer si grosse près du rivage, qu'à moins d'un péril évident, on ne pouvait essayer d'y débarquer, il revint à bord annoncer à M. de Surville qu'il était impossible de mettre à terre.

Dans une toute autre circonstance, et dans un autre pays, M. de Surville eût attendu que la mer fût devenue plus calme, ou cherché quelqu'endroit plus abordable pour faire porter sa lettre, mais dans la position oû nous étions, le plus petit retardement était à craindre; il prit une résolution que l'on a taxé de témérité, cependant le caractère de M. de Surville eût dû le mettre à l'abri d'un pareil reproche. Il savait mieux que personne de quelle conséquence était sa lettre, il n'est donc pas surprenant qu'il ait voulu lui-même s'assurer qu'elle serait rendue au Vice-Roi; les précautions qu'il prit prouvent mieux que tout autre raisonnement que sa prudence ne l'a pas quitté dans cette occasion et si l'événement a été aussi funeste à sa personne, ce n'est pas une raison pour l'accuser de trop de confiance en lui-même, encore moins de douter qu'il pût en avoir dans un autre.

M. de Surville se persuadant que la barre de Chilca (c'est le nom de l'endroit devant lequel nous étions mouillés) ressemblait à celle de Pondichéry, ou de Madras à la côte Coromandel, fit embarquer dans son bateau un noir de Pondichéry, très bon nageur, et habitué à y passer la Barre dans les plus mauvais temps lorsqu'il y avait des raisons pour cela. La lettre au

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Vice-Roi du Pérou fut enfermée dans un flacon bien bouché. L'intention de M. de Surville n'était donc pas de descendre luimême à terre si la mer n'était pas praticable, mais bien d'y envoyer à la nage le noir avec le flacon.

Lorsque le bateau fut arrivé à une certaine distance du rivage, M. de Surville reconnut toute l'impossibilité d'aller plus loin, il fit attacher le flacon au col du noir qui se jeta tout nu à l'eau. Ce flacon n'étant point assujetti frappait le visage du noir et le blessait fortement, il fut obligé de chercher à casser la corde et fut très heureux d'y réussir, sans cela il aurait péri indubitablement.

Cet homme qui n'avait pas cru s'exposer à un danger réel tourna ses regards du côté du bateau et le vit renversé, et M. de Surville avec les deux matelots à la nage faisant les plus grands efforts pour gagner la terre, malheureusement pour eux ils avaient leurs vêtements dont ils ne purent jamais se débarrasser, tous les trois périrent. Rien ne peut mieux faire l'éloge de M. de Surville que la part que le ministre a pris à sa perte et l'assurance qu'il a donné à sa veuve de reconnaître en ses enfants les services de leur père. Que pourrions nous ajouter de plus glorieux à sa mémoire?

Achevons le triste récit de cette catastrophe. Le noir, après des peines infinies, eut enfin le bonheur de toucher le bord du rivage, les fatigues avaient épuisé ses forces, il tomba sans connaissance et fut plus d'une ½ heure à recouvrer ses sens, revenu à lui-même il trouva sur le bord de la mer le flacon qui contenait le paquet de lettres et le chapeau de M. de Surville, il porta le tout au village de Chilca et le remit au curé, celui-ci le fit conduire à Lima.

M. de Surville avait laissé l'ordre à M. Labé d'appareiller le lendemain, au cas qu'il ne vint pas a bord, ce qu'il fit le 9, mais avec des vents si faibles que nous ne pûmes arriver que le 10 au Port de Callao où nous mouillâmes à l'entrée de la nuit. Nous trouvâmes un jour de différence ainsi que nous devions nous y attendre, on ne comptait au Callao que le 9 du mois d'avril 1770.

Le corps de M. de Surville fut retrouvé et fut enterré avec grande pompe à Chilca. Le Vice-Roi renvoya à M. Labé la croix de St. Louis et les habits trouvés sur son corps avec une partie des ses cheveux pour servir, sans doute, de preuve de sa mort.

Nous n'entrerons dans aucun détail sur les événements qui ont suivi la fin de M. de Surville; cette matière n'est pas susceptible d'être traitée dans un Journal.

A Paris le 4 octobre 1771.

(Signé)

P. Monneron

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